L’Autoroute de Sable est une revue littéraire consacrée aux nouvelles et autres textes courts.

Elle paraît deux fois par an.

Son comité de lecture m’a demandé de lui écrire une nouvelle inédite, intitulée L’heure de la tisane.

Vous pourrez la lire dans le cinquième numéro de la revue.

En voici le début :

Mon cher confrère,

J’ai pensé que vous seriez intéressé par l’évolution du cas de ce patient qui fut aussi, si j’en crois le document que je vous transmets, l’un des vôtres. Peut-être pourrez-vous l’identifier. Ce manuscrit a été retrouvé dissimulé dans les montants de son lit avec des centaines d’autres. Notre patient commun est mort le 25 décembre dernier, durant l’une de ce qu’il appelait ses longues promenades en montagne. En réalité, il faisait le tour du parking de la clinique. Il a passé près de vingt-huit ans dans notre établissement. Je ne lui connais aucune relation ; si d’aventure votre dossier faisait mention d’un proche, je me chargerais de lui transmettre ses affaires personnelles, ainsi que ses autres écrits, pour la plupart plus incohérents encore que celui-ci.

***

 

C’était l’automne, le vent soufflait, et je voulais me faire interner. J’avais pour cela choisi un certain docteur Kleist, dont le nom m’évoquait la littérature et le suicide. À présent, il ne me restait plus qu’à lui faire mauvaise impression.

J’étais confiant. Ma femme m’avait quitté l’année précédente, au motif qu’elle ne supportait plus mon apathie. Ça paraît grave et irréversible, mais elle voulait simplement dire que j’étais fainéant. Pourtant, elle ne m’avait pas toujours considéré comme tel ; ainsi, le matin où je n’avais plus voulu me rendre au bureau, elle ne m’avait fait aucun reproche. Pourquoi ce matin-là plutôt qu’un autre ? Peut-être parce que, lorsque j’avais ouvert les yeux, ma femme était en noir et blanc. Ce n’était pas très gênant — au contraire, cela faisait ressortir l’éclat de ses dents magnifiques (elle me souriait encore à cette époque) — mais j’avais préféré rester au lit les jours suivants. Je n’étais pourtant pas si mal, au travail. J’avais un bureau pour moi tout seul, et pas grand-chose à faire d’autre que chercher des visages dans les auréoles du plafond et les taches de la moquette. J’imaginais que c’étaient mes collègues ; je les saluais le matin, et, quand je renversais mon café, j’en avais un nouveau. Je n’aimais pas beaucoup mes vrais collègues.